Histoire & Culture : Les Filles du Roi ou les Filles à la cassette

Publié le par jdor

Par Marie-Hélène Morot-Sir

Durant les années 1647 à 1663, ce fut une période hasardeuse et difficile pour les Français, en Nouvelle France. Personne ne pouvait affirmer si l’implantation allait pouvoir se poursuivre et même si elle allait se faire réellement, du fait de cette menace Odinossonis, (Iroquoise) qui planait sans cesse.

C’était évident, la faiblesse du peuplement était certaine, puisqu’à grand peine il y avait une cinquantaine de nouveaux candidats qui arrivaient par an.

L’insécurité était très importante à cause du conflit permanent avec les Odinossonis (iroquois) mais plus particulièrement avec une tribu de cette nation, les Annierronnons, appelés Agniers par les Français (les Anglais les appelleront plus tard, Mohawks).

Le jeune roi Louis XIV venait tout juste d’accéder au pouvoir, après la mort de Mazarin. Il avait assez rapidement pris conscience, grâce à des personnes comme Pierre Boucher, venues tout exprès de Nouvelle France, pour le mettre au courant de leurs difficultés immenses, qu’il fallait soutenir ces Français partis en Amérique septentrionale et, pour cela, peupler davantage ce pays. Pour inciter au départ de l’autre côté de l’Atlantique, il était, depuis quelques années déjà, proposé un contrat de trois ans, et si au bout de ce temps les candidats ne se plaisaient pas, ils pouvaient revenir bien évidemment en France. A cause de cela, on les appela les « trente-six mois ! »

Par la suite pour ancrer les jeunes colons, il fallait les inciter à prendre femme et, pour cela, le roi Louis XIV pensa envoyer des jeunes filles, appelées de ce fait les « filles du Roi ». Ces jeunes filles étaient très souvent orphelines, de bonnes familles, et désireuses de trouver en Nouvelle France de quoi fonder une famille. Si, entre temps, ces trente-six mois avaient pris femme et fondé une famille grâce à elle, ils étaient, en fin de compte, heureux de rester dans ce nouveau pays et d’y planter solidement leurs racines.

http://www.greenerpasture.com/Ancestors/Details/209

tremblay_monument.jpgPierre Tremblay est un exemple de ceux qui sont partis pleins de l’ardeur et de l’enthousiasme de leur jeunesse vers ce nouveau pays.

Né à Randonnais près de Saint Malo, - fils de Philibert Tremblay et de Jeanne Coignet  qui s’étaient mariés en 1623 - il laissa la ferme familiale à son jeune frère Guillaume  et avec un de ses amis Martin, lui-même serrurier, ils signent un contrat de trois ans,  le 9 avril 1647, pour aller travailler à la Nouvelle France.

Partis de La Rochelle et embarqués en juin 1647 sur la caravelle « La Marguerite », ils jetèrent l’ancre devant Québec avec quatre autres caravelles, après deux mois de navigation « pénible ». Ce qui semble, au vu des récits de ces traversées, un bel euphémisme !

Pierre Tremblay travaille dans les docks de Québec depuis quelques mois déjà, lorsque Ozane arrive le 21 juin 1657 sur une caravelle appelée “ le Taureau ” qui mouille devant la ville, avec à son bord vingt-six jeunes femmes, des « filles du Roi ». En effet, Sa Majesté le Roi de France, réjoui de la gloire et de la santé de la belle Province commençant à naître autour de Québec, redoute d’en voir tarir la progression, même si les colons, tous courageux  et résolus commencent à être un peu plus nombreux…

Il faut donc peupler ce pays et le Roi décide d’envoyer des vaisseaux entiers de jeunes filles de famille, des veuves ou des orphelines auxquelles une dot serait allouée, si elles acceptaient de partir.

fillesduroy5.jpghttp://www.migrations.fr/700fillesroy.htm

Le titre pompeux de « filles du Roi » avait aussi de quoi flatter, c’est pourquoi, nombreuses furent celles qui acceptèrent de se lancer dans cette aventure sur ces terres lointaines, où on leur disait qu’un mari les attendait et, surtout, qu’elles auraient la possibilité d’avoir le choix parmi plus de cent prétendants. N’auraient-elles pas hésité si on leur avait appris que le voyage en mer durerait plusieurs mois dans des conditions « hasardeuses » et qu’à leur arrivée la colonie naissante exigerait une force peu commune, en raison du froid intense régnant l’hiver ? N’auraient-elles pas tergiversé si, à ces conditions difficiles, il leur avait été décrit non seulement l’absence de confort, mais en plus le voisinage terriblement redouté et absolument terrifiant des sauvages Odinossonis appelés par les Français Iroquois, ces grands ennemis et tueurs de Français ? 

Le port de Québec était inaccessible du 15 novembre au 1er mai à cause des glaces qui recouvrent le fleuve, il importait donc que les bateaux appareillent de France un peu avant le premier mai.

Sa Majesté assurait la traversée sur un de ses vaisseaux et chacune de ces jeunes personnes allait recevoir une cassette contenant de vraies merveilles « une coiffe, un mouchoir, un ruban à souliers, cent aiguilles, un peigne, un fil blanc, une paire de bas, une paire de gants, une paire de ciseaux, deux couteaux, un millier d’épingles, un bonnet, quatre lacets et deux livres en argent. »

Sa Majesté  leur garantissait, en plus de tout cela, à leur arrivée, une dot de cent livres, le logis ainsi que la nourriture chez les Ursulines, bien protégées par la grande Marie de l’Incarnation, supérieure du couvent. C’est ainsi que toutes ces jeunes filles débarquaient dans la colonie, n’apportant avec elles que la recommandation de leur curé, et la cassette du Roi. 

Cependant, après ces mois de navigation, le vaisseau, lorsqu’il remontait le Saint-Laurent, faisait une halte bienfaitrice à l’île aux Coudres où les jeunes femmes pouvaient débarquer durant deux jours, afin de réparer les désordres de leurs toilettes, en se lavant dans l’eau claire du fleuve et en revêtant des robes simples, mais fraîches… En effet, c’est peu de le dire, elles avaient toutes été plus que malmenées tout au long de la traversée ! 

Lorsque les frégates du Roi étaient signalées dans le fleuve, le gouverneur général faisait savoir à toute la petite colonie, que les jeunes femmes étaient tout près d’arriver, les prêtres l’annonçaient dans leurs prônes, les seigneurs le faisaient crier dans toutes les concessions.

coudres20.jpghttp://pages.infinit.net/ve2qra/orleans - La pointe de l’île aux Coudres

C’est ainsi qu’officiers, habitants ou marchands des villes, accouraient à Québec, ces jeunes hommes sans épouse attendaient les navires avec une folle impatience, tandis que, là-bas, sur l’île aux Coudres, poussées par le vent, toutes ces jeunes filles venaient vers eux. Jamais autant d’inconnu et de poétique incertitude ne furent autant entremêlées. Si l’on songe au faible nombre de colons esseulés, et au désir de provoquer la naissance de ce peuple que nous aimons tant, il faut bien reconnaître le mystère de cette démarche extraordinaire de ces jeunes femmes, sortant de l’océan pour créer une patrie.

Dans leur nouvelle toilette, débarrassées enfin de la torture du balancement du navire, épanouies par le soleil d’été, elles devenaient aussi belles que toutes ces fleurs que l’on voyait, çà et là, sur les collines environnantes, entre les cèdres, les érables et les pommiers, qui éclataient eux aussi merveilleusement vivaces.

Les lieux leur parurent fort escarpés, toute une partie de la ville dominait l’autre, à gauche la redoute du cap aux diamants, le fort Saint Louis, où résidaient le gouverneur et l’évêché dont les pierres annonçaient la prestance. Quelques moulins, quelques autres bâtisses fortement charpentées, faisaient penser à des monastères, c’étaient sans doute ces sœurs hospitalières dont on leur avait parlé, ces sœurs qui étaient venues avec beaucoup de courage apprendre à lire aux petites sauvages, et leur enseigner la « vraie foi. » 

La supérieure, Marie de l’Incarnation, montrait un acharnement peu commun, elle rédigeait, paraît-il, un livre d’histoire sacrée en Algonquin, ainsi qu’un dictionnaire Iroquois. Québec apparaissait fort modeste aux nouvelles arrivantes, mais la petite ville se montrait sous le soleil, remplie de gaieté.

Pierre Tremblay et Ozanne se rencontrèrent régulièrement et cela dura pendant deux bons mois, ils apprirent tranquillement à se connaître, voulant faire un véritable mariage d’amour. 

Devant le notaire Claude Aubert, le contrat de mariage sera signé le 19 septembre 1657. Pierre doit fournir cent livres en plus du douaire à l’épousée « qui est à prendre sur le plus beau et le plus clair du bien d’entre les partis. »

La coutume de la région du Perche est tout à fait respectée : Le jour du mariage, la jeune mariée ne doit pas laisser son mari lui glisser l’alliance, au-delà de la première phalange, afin qu’il ne soit pas le maître absolu du logis.

De nombreux colons, avec un grand enthousiasme, sont en effet partis de cette région française du Perche, pour peupler ce Nouveau Monde, cette Nouvelle France fondée de l’autre côté de l’Atlantique, baptisée de ce joli nom Onnaontagué « Ganata-ah » qui deviendra avec la prononciation française  « Canada ».

Pierre Tremblay épousa, le 20 octobre 1657, Ozanne Achon, dite Anne, née le 18 Juillet 1633, à Chambon Rochefort, tout à côté de la Rochelle. Le jeune couple était en possession de deux arpents de terre sur la rivière, vers le fief Lothainville, et ils eurent douze enfants.

Ayant besoin de terres pour sa nombreuse famille, Pierre Tremblay se fit concéder sur la côte de Beaupré par Monseigneur de Laval, un lot à Petite Rivière, légué plus tard à son fils Michel,  « contre cinq ans de travail sur les terres du dit Monseigneur. »

sme-151.jpghttp://www.mcq.org/seminaire/francais/chap4/photos/sme-151.htm

L’immense seigneurie de Beaupré appartenant à Monseigneur de Laval passa à sa retraite à ces Messieurs du séminaire, à qui il en fit don.

Jacques Achon, frère d’Ozanne, arriva à son tour en octobre 1665, il trouva le jeune ménage bien prospère et, suivant leur exemple quelque temps plus tard, lui aussi épousa une fille du Roi, Marie Bonnefoy, mais il mourut fort jeune, ce fut Pierre et Ozanne qui s’occupèrent de sa femme et de ses enfants laissés seuls.

En 1710 l’aîné des enfants de Pierre Tremblay, Pierre, devint seigneur des Eboulements, et fut l’un des plus gros propriétaires du pays, son propre fils bâtira un manoir qui appartiendra aux Tremblay jusqu’en 1810.

Sur les douze enfants de Pierre et Ozane, il y en eut dix vivants, dont six filles qui épousèrent des personnes aux noms bien connus des québécois, tels que Perron, Roussin, Gagné, Laforest, Pelletier, Savard… tous des descendants de Pierre Tremblay…  Quant aux quatre fils, ce furent Pierre, Michel, Louis et Jacques qui tous fondèrent une famille constituant 4 branches d’un gros tronc nommé Tremblay.

« Qui n’a pas un Tremblay dans sa famille n’est pas Québécois ! » dit encore aujourd’hui un dicton fort connu.

Le roi envoya également, en 1665, le régiment de Carignan Salières comptant mille trois cents hommes, pour tenter de repousser les terribles Odinossonis jusqu’au fin fond de leurs forêts, dont ils n’auraient jamais dû sortir. Jamais auparavant la Nouvelle France n’avait autant été aidée. Durant la campagne des soldats de Monsieur de Tracy, la vie continuait, bien entendu, dans les bourgs, malgré les Odinossonis (Iroquois), principalement les Annierronnons alliés des Anglais, qui harcelaient la population autour des habitations, des plus modestes aux plus importantes. Ces dernières ressemblaient à de petits forts entourés de palissades de pieux pointus, derrière lesquelles courait un chemin de ronde et des postes d’observation à tous les angles. Une palissade était en effet la première chose que construisaient les colons autour de leur cabane, pour se protéger.

Chacun tentait de se défendre de son mieux, les femmes en sortant simplement devant leur maison, pouvaient être tuées par un Odinossonis embusqué.

Comment toutes ces jeunes filles arrivées de France, comment toutes ces filles du Roi  qui s’étaient installées dans leur nouveau foyer, habituées à une vie plus douce, plus facile, étaient-elles arrivées à une telle endurance, devant cette vie si rude et si dangereuse ? Tenant le fusil ou la charrue d’une main et de l’autre leur nouvelle progéniture, elles furent les grandes reines de ce royaume, tous ces jeunes arbres poussèrent avec vigueur, devinrent ensuite une véritable forêt qui construisit le pays grâce à elles.

Les habitants de la Nouvelle France sont restés très longtemps une poignée, ils étaient arrivés à être, à grand peine, deux mille en 1653 y compris les pères jésuites au fond des bois, mais avec l’aide du roi et l’arrivée des filles du roi, on compta 3918 habitants  dès 1667… Ces habitants étaient répartis dans quarante-cinq seigneuries ou domaines dont certains n’existaient que sur la carte, tandis que, pendant ce temps, c’était plus de dix mille Hollandais et déjà plus de quarante mille Britanniques qui étaient installés dans le sud, tout le long de la côte Atlantique. Quant à la la confédération des Cinq Nations Odinossonis, à elle seule, elle comptait seize mille Amérindiens, répartis en cinq nations ou tribus : Annierronnons, Onnaontagués, Onneiouts, Goyogouins et Tsonnontouans !

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F
J'ai beaucoup de plaisir à lire votre série sur la Nouvelle France, je constate avec surprise que même les Québécois, au vu de leurs commentaires, apprécient eux aussi terriblement cette lecture<br /> approfondie et érudite de leur passé.. Autant cela serait ardu, en tous les cas pour moi, de se plonger dans un gros livre d’Histoire, autant ces textes courts et passionnants nous entraînent<br /> facilement et avec quel intérêt... Merci beaucoup à l'auteur c'est passionnant. Françoise Vidal
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A
Très intéressants ces articles sur le Québec et très émouvants aussi. Merci à l'auteur !
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A
Ce nouveau texte de Marie-Hélène Morot-Sir sur les filles du roi est très émouvant pour nous, car ce sont nos ancêtres pour une grande majorité d'entre nous..Nous sommes nombreux ici au Québec à<br /> lire vos textes chaque semaine, nous avons beaucoup aimé tous les précédents et aussi celui sur Dollard des Ormeaux, bien connu mais si peu raconté aujourd'hui chez nous.. c'est tellement<br /> chaleureux de voir un blogue français parler de nous,merci à vous Aude Dufour
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J
<br /> <br /> Si vous saviez combien votre témoignage me touche... Je vous en remercie et en même temps, je remercie Marie-Hélène Morot-Sir de me permettre de vous lire, vous, amis québécois, si loin<br /> géographiquement et si proches de coeur...<br /> <br /> <br /> Jean Dornac<br /> <br /> <br /> <br />
T
Toujours aussi intéressant à lire vos textes, je suis un de vos fidèles admirateurs, merci Madame Morot-Sir;
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S
Si nous remontons nos généalogies, la majorité d'entre nous Québécois, descendants Français, avons une aïeule Fille du Roi comme ancêtre. les Anglais ont fait circuler le fait, pour nous humilier<br /> un peu plus selon leurs habitudes, que ces jeunes personnes étaient des prostituées, mais l'Histoire est là pour nous prouver le contraire, merci à Marie-Hélène Morot-Sir de nous expliquer<br /> également très bien et très clairement cela.
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J
<br /> <br /> Je songeais à ces jeunes femmes en préparant l'article, ce matin. Et j'ai trouvé très beau cette vie, ce choix courageux. La réaction des Anglais ne m'étonne pas. C'est le fait des colonisteurs,<br /> on le voit chez vous, on le voit en Palestine, on l'a vu de la part du pouvoir français à l'époque de l'Algérie et des autres colonies. Triste et tragique époque...<br /> <br /> <br /> <br />