Le mur mémoire Jacques Cartier – Roberval

Publié le par jdor

Par Marie-Hélène Morot-Sir

La Commission de la capitale nationale du Québec, après les découvertes archéologiques de 2005 et à la suite des éboulis de la falaise de Cap-Rouge, s'était engagée à consolider cette falaise auprès de la ville. Tout d’abord, le long du chemin de la Plage-Jacques-Cartier, des travaux temporaires ont été entrepris afin de sécuriser le secteur.

mur-memoire.jpgflickr.com

Le mur mémoire Cartier-Roberval constitue une partie de ce dispositif de consolidation. La forme du mur lui-même, veut donner l’impression du fracas des vagues sur le rivage, fracas de près de cinq siècles… Sur toute la longueur de ce mur des mots, des paroles de Jacques Cartier et de Jean François de la Rocque de Roberval sont inscrits les uns à la suite des autres, s’allongeant ainsi sur ces ressacs du mur, rappelant d’une manière éclatante et émouvante la volonté de la France de venir s’installer dans le Nouveau Monde.

En effet, c’est au pied même de cette falaise que la toute première colonie française d'Amérique s’est implantée en ces lointaines années 1541, au moment même du troisième voyage de Jacques Cartier. Jacques Cartier amenait, et c’est à noter, pour la première fois, avec lui des colons, lors de ce troisième voyage. C’est pourquoi il avait pensé les installer le long du Saint Laurent un peu à l’ouest du petit village de Ganata-ha prononcé « Canada » à la mode française, qui était ce petit regroupement de cabanes de Stadaconé, bourgade des Amérindiens de la tribu iroquoienne des Onnaontagués, que Jacques Cartier avait trouvés dès sa première remontée du fleuve en 1534. Arrivé à Cap Rouge, cette fois en août 1541, il fait édifier immédiatement en prévision du prochain hiver, le fort Charlesbourg Royal au confluent du fleuve Saint Laurent et de la petite rivière de Cap Rouge.

Jacques Cartier, en remontant le fleuve, avait en effet trouvé un peu à l’Ouest du Canada (Stadaconé) et donc tout proche de ce petit village des Amérindiens, le sommet de la pointe du cap formant un des côtés de l’entrée de la rivière Richelieu du Cap Rouge lieu particulièrement bien choisi, non seulement pour y élever des fortifications mais aussi paraissant un endroit bien propice, commandant à la fois le Saint Laurent et la rivière de Cap Rouge. A cet endroit il put faire rentrer ses vaisseaux dans cette petite rivière au Nord, puis il y installa un fort comprenant deux corps de logis une grande tour et une plus petite dans laquelle se trouvait plusieurs pièces, une grande salle une cuisine, des chambres d’office et des celliers. Proche d’eux se trouvaient un four et des moulins, mais aussi un puits devant la maison, de même un poêle pour chauffer les gens. Plus bas s’élevait un autre bâtiment, une tour à deux étages en deux parties du côté de la falaise. Un logis pour ranger les provisions et tout ce qui avait été apporté avec les navires.

Au printemps suivant ne voyant toujours pas arriver Roberval et ses vaisseaux, il laisse les colons continuer leur installation pour reprendre le chemin de la France. A Terre-Neuve, il croise Roberval qui, a son tour, a enfin traversé l’atlantique, il avait mis à la voile seulement le 16 avril 1542. Jacques Cartier prétexte comme excuse à son retour précipité en France, que les Sauvages l’incommodaient fort en rôdant journellement autour du fort, mais Roberval l’incita à revenir avec lui car ses forces étaient suffisantes à les éloigner. Effectivement ce dernier veut le dissuader de repartir et voudrait qu’il revienne avec lui jusqu’à « Canada », afin de l’aider, entre autres choses à remonter le fleuve et à rencontrer les Amérindiens… Pourtant, Cartier est si décidé à repartir, il ne veut en aucune façon soutenir celui que le roi a mis à la tête de « sa » troisième expédition qu’il va lever l’ancre en pleine nuit, sans même en avertir Roberval, il repartira en France comme il l’a décidé, sous le prétexte d’aller montrer au roi ses toutes dernières trouvailles de ce pays, ces fameux diamants ! 

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L'importance du site archéologique, dénommé Cartier-Roberval, avait alors incité le gouvernement du Québec à lancer un programme de fouilles archéologiques (2006-2010) afin d'explorer ce site unique en Amérique du Nord, et c’est ainsi que des découvertes majeures avaient été mises à jour comme les premiers artefacts, et d’autres vestiges de la fondation de murs par exemple, de même les écofarts, ces objets  associés à la présence humaine, permettant non seulement de déterminer l’époque, mais aussi la manière de vivre à travers mille petites choses trouvées telles des graines de blé, ou des restes d’ossements d’animaux, du charbon de bois ou même des débris de carcasses d’insectes. Cet inventaire archéologique mené en 2006 a permis l'identification de près de trois cents objets anciens divers, associés aux vestiges des établissements de Cartier et de Roberval. L’épaisse couche incendiée au moment du départ des Français vraisemblablement par les Français eux-mêmes, a très certainement, d’après les archéologues,  permis de conserver tout cela, et de retrouver ainsi sous plusieurs épaisseurs, l’emplacement d’un édifice imposant, sans doute celui de la grande tour…

Parmi les découvertes qui ont apporté la confirmation que ce site est bien celui d'un établissement européen du XVIe siècle, les archéologues ont retrouvé des fragments de vaisselle de  faïence italienne, avec des motifs bleus et jaunes, de même des creusets utilisés pour des tests métallurgiques, mais aussi des tessons de poterie amérindienne et cela en grande quantité, certainement de cette tribu iroquoienne Onnaontagué  installée alors à Stadaconé avec laquelle Jacques Cartier avait  eu des rapports amicaux  depuis ses deux premiers voyages.

images.jpgLe gouvernement du Québec n’a pas hésité à investir 7,7 millions de dollars dans un programme archéologique important afin de pouvoir mettre par la suite le site en valeur, en présentant les emplacement précis du fort et des bâtiments annexes d’habitation érigés par Jacques Cartier dès 1541 au bord du Saint Laurent et de la rivière Cap Rouge, qu’il appellera Charlesbourg Royal. Lorsque Jean-François de La Rocque Sieur de Roberval arrivera jusque-là il occupera le lieu, qu’il améliorera de son mieux afin de pouvoir passer l’hiver 42-43. C’est aussi là que furent logés les gens du commun arrivés avec lui, leur vie s’organisa, chacun fut employé à différentes besognes selon ses compétences et ses capacités. Au 14 septembre 1542 Roberval renvoya en France deux vaisseaux. Monsieur Saint Terre fut nommé amiral et Monsieur Guinecourt capitaine, pour aller apporter des nouvelles au Roi, avec mission de revenir au printemps suivant avec tout ce dont avait besoin la petite colonie c’est-à-dire des fournitures diverses et des victuailles, mais également leur ramener des nouvelles de France principalement sur ce qu’avait dit le roi en découvrant certaines pierres du pays trouvées et ramenées par J. Cartier précédemment, dont ils avaient hâte d’avoir son avis...

L’hiver approchant et afin de s’y préparer ils firent, une fois les vaisseaux repartis en France, l’inventaire des provisions. Elles furent trouvées fort insuffisantes. Il fallut procéder à un partage efficace et équitable. Heureusement les « sauvages » leur apportaient des grandes quantités d’aloses - aussi rouges que des saumons – en échange de quelques couteaux ou autres bagatelles, tandis que Roberval faisait procéder à quelques aménagements de ce fort construit par Cartier, dix-huit mois plus tôt.

Les récits de Marc Lescarbot, compagnon de Samuel de Champlain à Port Royal en Acadie, dans son Histoire de la Nouvelle France, raconte quelques parties essentielles de cette installation de Jacques Cartier en 1541 puis du passage de Roberval, ces textes sont suivis de ceux du premier pilote de Roberval « Routier de Jean Alphonse » en 1542, décrivant avec précision le cours du fleuve, des notes précises sur l’endroit ou J. Cartier bâtit le fort pour mettre sa flottille en sûreté pour l’hiver. De même plus tard le père Pierre François Xavier de Charlevoix au siècle suivant, envoyé faire une enquête sur les difficultés de la vie coloniale en 1720 en publiera en 1744 les résultats, et il en reparlera lui aussi. Leurs récits nous ont appris de nombreux détails et que l’hiver fut bien rude pour ces gens, plusieurs personnes tombèrent malades, souffrant « à la fois des reins et de l’estomac et même semblant avoir perdu l’usage de leurs jambes » si bien que cinquante en moururent, très certainement du scorbut… la vie s’était organisée difficilement et il fallut à Roberval se montrer rigoureux, en effet, « Michel Gaillon fut pendu pour vol, Jean de Nantes fut mis aux fers et d’autres avec lui, plusieurs furent fouettés tant hommes que femmes », et après tous ces exemples  édifiants le reste de la petite communauté réussit à vivre tranquille, mais après ces mois d’hiver éprouvants, le froid, les maladies le manque de nourriture sans compter  la promiscuité ne facilitant pas non plus le cours de la vie, la décision sera prise de faire rembarquer tout le monde afin de revenir en France, après que Roberval ait néanmoins pris le temps d’aller visiter la région du Saguenay dont les Amérindiens avaient vanté en vain les richesses. Il était donc parti faire cette exploration le 5 juin 1543 avec une petite flottille comprenant soixante et dix personnes et ils avaient navigué à la voile contre le flot et la marée. Roberval avait laissé trente personnes au fort en attente de leur retour, sous la responsabilité du « lieutenant le sieur de Royèse à qui il avait donné Commission afin que tous lui obéissent ». Cependant, passé la date du premier juillet suivant leur départ ils seraient tous libres de repartir en France si la petite expédition dans le Saguenay n’en était pas revenue.

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Le 14 juin le Sieur de l’Espinay et le Sieur de la Brosse revinrent au fort, une barque avait été perdue et huit personnes avaient été noyées dont Levasseur et la Fontaine… Trois jours après eux, plusieurs personnes arrivèrent également transportant « six vingt »* livres de bled d’inde et apportant des lettres pour demander aux personnes restées au fort d’attendre encore un peu, et cela au moins jusqu’au 22 juillet, avant de prendre la décision de repartir en France, le voyage d’exploration au Saguenay devant prendre fin rapidement. C’est ainsi que l’essai fort rapide de cette toute première implantation française se terminera.

À terme, ce gigantesque chantier archéologique Cartier-Roberval enrichira de manière exceptionnelle notre connaissance de cette période, la toute première étape del'Histoire de la Nouvelle France en Amérique.

 

*soit 120 livres.

Ceci en fonction du système de numérotation vicésimal utilisant la base de vingt, reste de nos ancêtres, ces anciennes tribus appelées gauloises (Celtes, Arvernes, Burgondes..) Exemple à Paris l’hôpital des Quinze-Vingt puisque comportant trois cents lits ! De même nos chiffres quatre-vingt, quatre-vingt-dix…

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S
Au sujet du mur mémoire c’est une initiative remarquable, plus il y aura des lieux de mémoire pour que nous ne puissions rien n’oublier de notre passé mieux ce sera.. cependant il faudrait que les<br /> explications sur place soient davantage approfondies car le passant n’a droit qu’à un court résumé qui ne raconte pas grand chose.. j’apprécie vraiment le texte de Marie-Hélène Morot-Sir qui nous<br /> éclaire en profondeur une fois de plus sur notre passé et fait la différence entre tout ce qu’à fait Jacques Cartier et le peu fait par Roberval...
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J
C’est à chaque fois un grand plaisir de venir lire les récits si parfaitement détaillés sur notre Histoire de Marie-Hélène Morot-Sir, vraiment merci ! Nous connaissons ce mur de soutènement le long<br /> du Saint Laurent au niveau de Cap Rouge, mais l’Histoire de ces voyages, de cette construction du fort et de ses dépendances ne nous avait pas été expliqué avec autant de détails.. pas davantage<br /> les différents voyages et les querelles entre Cartier et Roberval..C'est passionnant!
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S
Superbe récit, quelle aventure quand même ces premiers Français arrivés sur notre sol ! C’est de la musique de vous lire, merci chaque semaine de nous emmener remonter ainsi dans le passé ..
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A
j’étais allée voir ce mur il y a quelques temps, c’est terriblement émouvant de marcher tout le long du fleuve, en le découvrant. Merci de nous en raconter l’Histoire si liée à Jacques Cartier puis<br /> à Roberval en compagnie de ces premiers Français qui ont essayé de venir s’installer à cet endroit...
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