Les expatriés et les impôts

Publié le par jdor

Par Hervé Gindre

Que n’a-t-on dit sur les expatriés et les impôts en France… Si on écoute les médias ou la rumeur populaire, les expatriés seraient majoritairement partis de France pour ne pas payer d’impôts parce qu’ils sont riches et qu’ils estiment en payer trop en France.

Il faut quand même savoir de quoi il est question. Selon des sources sénatoriales, il y avait plus d’un million et demi de Français expatriés et inscrits sur les registres des Français de l’étranger à travers le monde[1]. Si autant de Français étaient millionnaires et quittaient la France ça se verrait largement dans les chiffres de l’économie nationale (baisse régulière de la consommation, des recettes fiscales…).

Une étude reprise par le même Sénat[2] évoque plusieurs conclusions et notamment le fait que les revenus des expatriés sont inférieurs à 45.000€ par an (soit moins de 3.000€ net par mois) pour plus de la moitié d’entre eux, que les expatriés reviennent de moins en moins souvent pour des séjours en France, qu’ils sont à l’étranger depuis au moins 3 ans pour la majorité d’entre eux et 40% d’entre eux ne souhaitent pas revenir en France.

Ce tableau rapidement brossé montre un bénéfice des services publics français assez réduit et une situation personnelle qui n’est pas forcément aussi enviable que beaucoup semblent le penser.

Pour rappel, les services publics auxquels les expatriés ont accès sont les services dits de Chancellerie (papiers d’identité, notariat…), d’Etat civil et d’aide sociale (très réduite parce que prise sur un budget déjà maigre au regard des charges à assurer, celui du Ministère des Affaires Etrangères). Le reste, c’est tout ce qu’on veut mais pas du service public et en tout cas, c’est payant voire cher même avec la nationalité française.

De même, il faut rappeler qu’il existe ce qu’on a avec des conventions bilatérales de non double imposition ou conventions fiscales, qui permettent d’éviter qu’une personne ne paye des impôts dans deux pays en même temps, sur les mêmes revenus. A titre indicatif la France a signé des conventions de cet ordre avec 121 pays à travers le monde[3] et, plus généralement il existe 285 conventions ou accord internationaux engageant la France sur des questions de fiscalité[4]. Toute modification de la fiscalité des expatriés serait susceptible soit de remettre en cause soit d’être remis en cause par ces textes.

Revenons donc à l’actualité après avoir posé le cadre général dans lequel se trouvent les expatriés, non sans avoir précisé qu’un expatrié passant au moins 183 jours par an dans un pays se trouve soumis à la fiscalité de ce pays, de manière générale. Une exception concerne la fiscalité applicable à l’immobilier qui est alors celle du pays où se trouve le bien.

Certaines rumeurs et certains propos que l’on qualifiera de populistes viennent donc évoquer, à l’occasion de l’élection présidentielle, la création d’un impôt sur les expatriés afin de punir les exilés fiscaux.

On sait qu’en France, la fiscalité passe par des déclarations à souscrire faute de quoi des pénalités parfois très lourdes sont prévues par le code général des impôts. Créer un tel impôt sur les exilés fiscaux reviendrait, immanquablement, à exiger de chaque foyer fiscal français expatrié de souscrire une déclaration des revenus, quitte à ne pas les taxer s’ils ne sont pas supérieurs à un seuil qui serait fixé à on ne sait quel niveau… Pour des personnes qui n’ont droit le plus souvent qu’à perdre une demi journée de travail (en ayant pris un rendez-vous deux mois à l’avance dans certains cas), pour se plier aux horaires parfois abracadabrantesques de réception du public par les services consulaires.

Sachant que ces expatriés sont soumis à la fiscalité du pays de résidence, cela ne manque pas de piquant. Le fait que certains pays se prêtent à cette pratique n’est pas un argument. Après tout, Cuba interne les opposants politiques, pourquoi ne pas s’en inspirer, puisque c’est pratiqué ? Le trait est volontairement tiré dans l’exemple choisi, mais il montre l’absurdité de l’argument qui pourrait être invoqué.

Le piquant de la soumission à la fiscalité locale vient surtout du fait que tous les pays de résidence des Français de l’étranger ne sont pas des paradis fiscaux et que, quand c’est le cas, le coût de la vie y est généralement plus élevé, bien plus élevé qu’en France. Comparer les revenus sans comparer les coûts de la vie ou taxer les revenus perçus en résidant à l’étranger sans tenir compte d’une part de l’imposition à l’étranger (à un taux parfois supérieur à la France) et d’autre part des accords internationaux conclus par la France avec d’autres pays, tout aussi souverains et accueillant des Français sur leur territoire.

Ainsi, prenons l’exemple du Maroc. Le Maroc est un pays qui a une fiscalité sur les revenus prélevée à la source, calculée de manière complexe (comme la France), avec un barème d’imposition composé de plusieurs tranches pour lesquelles le taux applicable varie de 0% à 38%. Les taux, présentés ainsi, semblent peu élevés par rapport à la France, et ce d’autant plus qu’il n’y a pas d’impôt sur la fortune au Maroc. Cependant, la tranche maximale est atteinte dès lors que les revenus mensuels atteignent 15.000,00 DHS. Avec une approximation du taux de change de l’ordre de 1€ pour 11 DHS, on atteint donc la tranche maximale, taxée à 38%, à partir d’un salaire de 1.364,00€ par mois. Ce genre de salaire est rare pour un expatrié salarié (pour ne pas dire exceptionnel…) et on peut espérer qu’un expatrié indépendant ou profession libérale aura un revenu au mois égal pour ne pas dire supérieur à ce seuil… Le taux applicable en France pour un tel revenu (sans abattement ni réduction d’impôt) est de… 14% ! Autant dire que la fiscalité marocaine n’est pas forcément plus douce que la fiscalité française et la tendance est la même jusqu’à un revenu imposable de 70.830,00€ par an soit environ 5.900,00 € par mois !

Outre cette question du montant des impôts, qui feraient des expatriés des vaches à lait fiscales alors qu’il est constaté dans l’étude citée plus haut que les revenus des Français expatriés sont en baisse, une autre question est à prendre en considération. Les formalités administrative à remplir pour cette taxation seraient, au minimum, constituées d’un dépôt d’une déclaration auprès de l’administration fiscale française, voire des services consulaires ou par internet dans les cas les plus favorables.

Cela voudrait dire que les Français de l’étranger seraient tenus de gérer les relations avec deux administrations différentes, chacune ayant ses exigences et ses standards. Après tout, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Mais surtout sur quel motif imposer ce genre de choses ? Un déficit budgétaire alors que les Français de l’étranger ne jouissent gratuitement que des services minimaux liés à leur nationalité ? L’existence de services publics auxquels ils n’ont pas accès ? La justification est au mieux difficile, au pire mensongère.

 


[2] L’étude est disponible en libre téléchargement à l’adresse suivante : http://www.mondissimo.com/pdf/expatrie_votrevie_2010.pdf

[4] Ces textes incluent les conventions au sens strict, les accords n’ayant pas la forme d’une convention internationale et les avenants venant modifier certaines de ces conventions et accords. La liste est disponible dans la base documentaire du Ministère des Affaires Etrangères en ligne (http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/exl-php/cadcgp.php?CMD=CHERCHE&QUERY=1&MODELE=vues/mae_internet___traites/home.html&VUE=mae_internet___traites&NOM=cadic__anonyme&FROM_LOGIN=1).

Publié dans Réflexions

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H
@BBec: On pourrait citer ce projet de Bercy (version actuelle) avec le projet de M. Baroin:<br /> <br /> http://votreargent.lexpress.fr/fiscalite/les-expatries-dans-le-collimateur-de-bercy_150759.html<br /> <br /> ou encore cet article d'un site suisse relatif à un projet de loi de finance 2011:<br /> <br /> http://www.bilan.ch/articles/finance/taxer-les-francais-domicilies-l’etranger-le-projet-qui-fait-peur-aux-expatries<br /> <br /> ou encore cet extrait des débats du sénat sur le projet d'instauration d'une exit tax et d'une taxe sur les résidences secondaires des expatriés (ce qui ne serait qu'un début...):<br /> <br /> http://expatries.senat.fr/unes/reforme_fiscale_exit_tax.html
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M
Ici un autre exemple de proposition de loi côté UMP: http://www.francesoir.fr/actualite/politique/difficiles-debuts-du-remplacant-douillet-142634.html<br /> <br /> C'est quelque chose qui revient souvent, par méconnaissance de la réalité des expatriés qui ne sont pas des éxilés fiscaux: ce sont deux choses très différentes.
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B
Ola,<br /> à part un vieil article d'octobre 2010 "Cahuzac veut faire payer des impôts aux Français de l'étranger"<br /> http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20101006.OBS0892/cahuzac-veut-faire-payer-des-impots-aux-francais-de-l-etranger.html, je n'ai trouvé aucune référence de « rumeurs et/ou propos populistes<br /> évoquant, à l’occasion de l’élection présidentielle, la création d’un impôt sur les expatriés afin de punir les exilés fiscaux. »<br /> <br /> peut-être avez vous au moins, un lien à nous proposer ?<br /> <br /> amcalement B.Bec
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G
bonjour , que vient faire CUBA dans un article parlant des impôts des expatriés ???? méchanceté gratuite ?? et de surcroit mensonges...Allez donc voir en Amérique ,au Maroc si on enferme pas aussi<br /> ceux "qui troublent gravement l'ordre public" et même en France !!!.....Salutations guevaranita
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