Les terrifiantes tortures, les adoptions amérindiennes, la psychologie des torturés…

Publié le par jdor

Par Marie-Hélène Morot-Sir

 En 1625, année de l’arrivée de Guillaume Couture à Québec, la population ne dépasse pas cent personnes et cette petite colonie parvient à survivre vaille que vaille…

Ces pionniers avaient tout à faire, tout à construire tout en se trouvant en butte à des tribus Amérindiennes qu’il fallait amadouer et familiariser, mais ils possédaient la vaillance, la ténacité, l’enthousiasme et surtout un courage à toute épreuve. Les Relations des Jésuites, les récits d’historiens, nous racontent mille détails sur les actes courageux et aventureux de ces hommes, certes doués d’un heureux caractère, mais intelligents, hardis, volontaires dans l’effort, ne se laissant pas rebuter par cette adaptation à un autre mode de vie et à un autre climat…

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Guillaume, après avoir passé son enfance à Saint Godard de Rouen, fait ses études chez les jésuites de Rouen, et c’est là qu’il entend pour la première fois les récits des missionnaires qui reviennent de la Nouvelle France. Il partira donc, à son tour, comme frère coadjuteur aux côtés des pères jésuites, les Pères Brébeuf, Lallemant, Massé..

Il aidera sur place les jésuites en tout, il apprendra quelques rudiments de langues amérindiennes et leur servira d’interprète, il se mariera avec une jeune Attingeenougnahak, une des tribus Wendat (Huron) mais qui, atteinte des fièvres, décédera en 1628, lui laissant alors élever seul, leur jeune fils métis, François. Il vivra plusieurs années au milieu de cette tribu, tout en continuant d’assister, d’accompagner et de protéger les pères missionnaires. Lors d’un voyage en canot, durant l’été 1642, pour se rendre à Québec, éloigné de mille deux cents kilomètres de la Huronnie, ce qui prenait au moins trente-cinq journées de voyage, leur petit groupe est surpris et attaqué par des Onnaontagués et Annierronnons, tribus Odinossonis, tous enragés contre les Wendat, mais aussi contre les Français qui étaient amis avec eux…

Au cours du combat, Guillaume tue un chef Onnaontagué, cependant malgré leur défense active ils ne purent résister sous le nombre et les survivants furent emmenés en captivité dans leurs territoires… Ils durent marcher, marcher encore, tandis que les coups pleuvaient sur eux, alors qu’ils étaient déjà exténués, leurs plaies se rouvraient, les mouches et les vers s’y mettaient… Et pour rajouter encore à leurs épreuves, ils devaient transporter tous les bagages des Odinossonis, occupés eux-mêmes à ramener les corps de leurs morts, dont celui du jeune chef Jhandish, tué par Guillaume… C’est pour cette raison qu’ils s’acharneront davantage sur lui, de même sur (http://www.boanthony.com/HuronWarrior.htmAhatsistari.jpg)  Ahatsistari, le chef Wendat, plus brave des braves guerriers, de nature noble et généreuse, le plus fidèles des fidèles aux Français, on peut dire qu’il aura droit à un traitement de faveur, il sera brûlé après avoir subi toutes les plus atroces tortures.…

La traversée des bourgades amérindiennes était prétexte à faire passer les prisonniers sous une haie de plus de cent mètres de long, formée par les villageois, tous armés de bâtons pointus et de ronces, pour leur donner les coups les plus impitoyables, y compris même si certains s’affaissaient de douleur et d’épuisement comme le père Jogues. Ils seront traités avec tant d’inhumanité, eux et tous les Wendat, qu’à la fin de cette affreuse mascarade ils sont si couverts de sang que pas un endroit de leur corps n’est reconnaissable… Pourtant les Annierronnons et les Onnaontagués n’en ont pas terminé pour autant avec eux, une fois parvenu dans leur propre bourgade, après avoir subi bien évidemment, une nouvelle séance si charmante de l’accueil des villageois, les vraies tortures vont pouvoir commencer…

Cela fait déjà sept semaines qu’ils sont prisonniers, qu’ils souffrent de ces atroces traitements jours et nuits, et qu’ils ont marché jusqu’au plus profond des forêts afin de parvenir aux territoires des Annierronnons. La séance des doigts écrasés, commencée dès leur arrestation, va reprendre, mais cette fois leurs tortionnaires les leur couperont avec les dents… On leur tord les autres doigts déjà mutilés, au cas où ils ne souffriraient pas assez, puis on continue en leur brûlant les bras et les jambes, en de multiples endroits, sans oublier d’égratigner largement au passage toutes les plaies déjà sanguinolentes… Nous passerons rapidement sur toutes ces horreurs aussi difficiles à écrire qu’à lire, mais dans ces monstrueuses circonstances, il s’agit pour le torturé de supporter son supplice sans pousser un seul gémissement, encore moins évidemment un cri, c’est à ce seul prix-là que le prisonnier aura une petite chance d’être respecté et de ne pas mourir, le mieux même, raconté par un père jésuite qui tentait d’instruire les nouvelles recrues missionnaires tout juste arrivées de France, avant de les envoyer en mission au fin fond des forêts, le mieux même est de se mettre à chanter (?), si toutefois cela est possible dans une si horrible situation, où en plus de l’atroce souffrance, même l’odeur de vos chairs brûlées montent jusqu’à vos narines… Comment ces hommes pouvaient-ils résister jours après jours sans être soignés, avec toutes ces nombreuses plaies jamais désinfectées, sur lesquelles les germes les plus infectieux pouvaient à loisir se développer, leurs organismes affaiblis et souffreteux devant supporter des nuits froides ou glaciales, parfois passés sous la pluie sans aucun vêtement protecteur, puisque la première chose faite par leurs assaillants étaient de les dénuder totalement… Il leur fallait un mental, une force psychologique et intellectuelle à toute épreuve et sans doute aussi leur foi en Dieu, de cette France du 17ème siècle, extrêmement catholique les soutenait-elle et les aidait-elle à se transcender ?

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Un dernier épisode de torture termina ces longues semaines atroces, après le Conseil des chefs les trois Français, dont Guillaume, furent avertis qu’ils ne seraient pas tués,  de même tous les guerriers Wendat, mais par contre ils désiraient s’acharner particulièrement sur leur chef Ahatsistari.

Jusqu’à son dernier soupir, celui-ci portera l’héroïsme aussi loin que possible, lorsqu’il fut emmené par ceux qui allaient le jeter dans les flammes, au lieu de demander la vengeance pour sa mort, comme c’était la coutume amérindienne, en disant la phrase habituelle « …Que quelqu’un se lève de mes os pour me venger… » Ahatsistari réclama au contraire que sa mort ne soit pas un obstacle à cette paix, qui devait se faire avec les Français et tous les Odinossonis (iroquois). C’est dans ce village de Tionontoguen, de la tribu des Annierronnons, à seulement quarante ans, que Ahatsistari fut mis à mort, tandis que le père Jogues endurait mille douleurs supplémentaires suspendu à une croix, les côtes brisées par les bastonnades successives, le faisant souffrir si terriblement qu’à chaque respiration il ne pouvait s’empêcher de faire entendre quelques menus gémissements de souffrance… Voilà pourquoi ce prêtre ne fut pas jugé suffisamment courageux, son sort fut alors rapidement scellé, il fut envoyé pour servir d’esclave dans une famille et se soumettre à toutes leurs volontés. C’est un terrible et bien injuste jugement, après avoir subi autant de souffrances, mais nous avons compris que les Amérindiens, quelques soient leurs tribus, ne respectaient que les hommes au grand courage et à la valeur immense.

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Guillaume avait totalement forcé leur admiration, et l’admiration des Onnaontagués ceux-là même pourtant à qui Guillaume avait tué leur jeune chef Jhandish. Il fut alors solennellement adopté par cette tribu, les adoptés devaient être au-dessus des autres hommes, et ils avaient détecté cela chez Guillaume. Si au milieu des pires tortures, aucun muscle du visage ne tressaille, c’est que le pouvoir de l’esprit est suffisamment fort pour surmonter la douleur, si le prisonnier arrive à endurer cela des jours et des semaines durant, s’il arrive à tenir grâce à la seule puissance de son mental, si cela l’amène même dans un état second ou l’esprit semble se détacher, et se dédoubler du corps, c’est seulement là qu’il sera respecté. Alors, il sera jugé digne de faire partie de leur tribu et il sera définitivement adopté. Guillaume fut emmené sur un brancard de branchages et de feuillages, jusque dans la tribu des Onnaontagués situé sur les bords du lac Ontario, il fallut le transporter dans cet état lamentable, inconscient après tout ce qu’il avait subi, il était plutôt mort que vivant…

Arrivés enfin chez eux, ils le déposèrent sous le toit de Jhandish, leur jeune chef mort au combat. Sa femme aidée du chaman soigna toutes ses blessures, ils firent tout ce qui était en leur pouvoir pour le ramener à la vie.

On l’habilla solennellement avec les vêtements de Jhandish, on le décora de toutes les peintures de ce jeune chef, on le para de toutes ses plus belles plumes, toutes ses armes furent déposées à ses côtés, enfin on le remit totalement entre les mains du Chaman, afin que son pouvoir opère le transfert de l’esprit du guerrier mort dans le sien.

Ayant surmonté toutes les épouvantables épreuves de la torture, il est prêt, l’esprit du mort va pouvoir pénétrer dans le sien au cours des cérémonies que le chaman va alors pratiquer sur son subconscient… cela dura de longues semaines avant qu’il puisse se rétablir ce qui semble réellement difficile après tout ce qu’il avait subi.

Une fois le transfert de l’esprit du mort terminé, les anciens prisonniers porteront le nom du mort, ils revivront en eux, ils deviendront réellement les maris de la femme du mort, les pères de ses enfants, ou même dans le cas de Guillaume, il deviendra réellement le chef de la tribu, il sera Jhandish, chef Onnaontagué respecté de toute l’iroquoisie. Ces adoptés seront, à partir de ce jour, membres à part entière de la tribu.

Un autre fait, également incroyable, a lieu, en effet insensiblement, la famille du mort elle-même, qui pendant des jours et des semaines soigne ces suppliciés dans l’espoir de remplacer un des membres décédés de leur famille, en ramenant cette personne peu à peu à la vie, va adopter, elle aussi, du plus profond d’elle-même, ce nouveau venu, et un véritable lien affectif et familial va alors se créer. L’esprit du mort vit maintenant dans celui qui a été adopté, Guillaume est devenu en quelque sorte un homme double, un être possédé par l’esprit de ce chef, mort au combat.

Si les Amérindiens torturaient au plus haut point leurs prisonniers, ce n’était pas spécialement pour s’en amuser comme on pourrait le croire, ou par simple sauvagerie primitive, ce que nous imaginons naïvement au premier abord, c’était au contraire un test grandeur nature, leur permettant d’observer, jusqu’où la force mentale des prisonniers pouvaient aller sous la souffrance, car seuls ceux qui arrivaient à la dépasser, à se dédoubler, étaient jugés suffisamment valeureux pour être adoptés et faire partie de leurs nations… Les autres étaient traités comme esclaves.

C’est donc ainsi que Guillaume et Jhandish ne font plus qu’un, il va occuper toute sa place, ses paroles seront écoutées au Conseil des Cinq Nations Odinossonis, comme le seul véritable chef des Onnaontagués. Une fois ces adoptions scellés, les Amérindiens ne faisaient plus aucune différence entre la personne décédée et son remplaçant.

Les psychiatres et tous les psychanalystes de notre monde moderne, ont pu analyser et comprendre qu’il devait effectivement se passer quelque chose de tangible, de terriblement marquant même, dans le fait d’avoir subi autant de souffrances et d’horribles tortures, puis de passer soudainement à l’état de membre à part entière de ceux-là mêmes, qui avaient pratiqué autant d’horreurs. Cela devait provoquer un choc psychologique certain, et d’autant plus que la personne devenait tout à fait Odinossonis, Wendat, Attichawata ou autres… Peu importe de quelle nation, car toutes pratiquaient ces tortures et ces adoptions.

Ceux qui avaient été adoptés, pouvaient aller par la suite se battre contre leur ancienne tribu et les membres de leurs propres familles, s’ils les avaient en face d’eux lors d’un combat, sans apparemment les reconnaître, comme si tout leur passé avait été gommé, effacé, lors de cette transmutation, ils ne restaient loyaux qu’à leur seule famille et leur tribu d’adoption.

C’est pourquoi le cas de Guillaume Couture est particulièrement passionnant, car il conserva profondément en lui-même la notion de sa nationalité française, par la suite, il profita au contraire de sa condition de Sachem Onnaontagué, pour envoyer des renseignements au Gouverneur de la Nouvelle France, sur les mouvements des Hollandais et des Anglais, dont les tribus Odinossonis étaient voisines.

Vigoureux, il reprit vite des forces, grâce à tous les soins intensifs dont il fut entouré en tant que Jhandish, cela lui rendit sa bonne santé malgré les mutilations irréparables de ses doigts ! Habile dans tous les arts chers aux Sauvages, excellent tireur, agile à la course pendant les chasses, capable de travailler le bois et de creuser admirablement un canot, sachant tout faire, ce Normand intrépide et débrouillard se forma très vite aux habitudes de ses nouveaux compagnons, il apprit assez vite leur langue, et cela d’autant plus facilement, qu’il avait vécu auparavant quatre ans avec sa jeune femme des bois, dans la tribu Wendat (Huronne) de celle-ci, sa première famille amérindienne en quelque sorte ! Cela a dû certainement être un peu moins difficile pour lui de s’adapter à cette vie rudimentaire au fond des bois, que pour un Français à peine débarqué de France !

Sans nouvelles de lui, son fils François et ses amis s’inquiétaient, n’osant l’imaginer vivant sous les tortures et refusant toute idée de sa mort… Pendant ce temps, au plus profond du pays des Onnaontagués, Guillaume s’appliquait à occuper dignement la place de Jhandish au Conseil des sachems Odinossonis.

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V
C'est avec un peu de retard que j'ai lu ce tout dernier article, mais quel récit inimaginable ! on n'en ressort pas indemne ! Quel monde totalement inconnu de nous tous,ce monde Amérindien, mais<br /> quelles horreurs effroyables aussi , comment ces Français, nés sous une autre civilisation plus douce, pouvaient-ils arriver à se faire à ce monde-là, et où trouvaient-ils ce courage faramineux?<br /> Toutes les fins de semaine, nous les lecteurs, sommes abasourdis par les récits de Marie-Hélène Morot-Sir ! Nous sommes comme des enfants qui attendent la prochaine histoire.. Merci vraiment ..<br /> Vincent Bourgeois
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J
<br /> <br /> Tout comme vous, j'attends chaque fin de semaine les nouvelles découvertes ! Merci à vous !<br /> <br /> <br /> <br />
P
L'Histoire de la Nouvelle France c'est aussi celle de ces affreuses tortures pratiquées par les Amérindiens, et nous pouvons nous demander comment ces prisonniers arrivaient à résister à autant de<br /> souffrances physiques, où trouvaient-ils le courage de résister ainsi?.. C'est important de nous rappeler cela, de nous donner autant de détails certes cruels, mais il faut savoir que cela a bien<br /> réellement existé, et le récit de Madame Morot-Sir nous l'explique parfaitement. cela nous démontre une fois encore quel était l'immense courage de nos ancêtres Français ..
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A
Monsieur Dornac, c'est toujours très difficile pour nous, même si cela ne vous semble pas aussi important, pourtant vous devez savoir sans doute combien c'est pénible pour nous de voir ce genre de<br /> choses sur notre passé écrit par les anglos.. Bien cordialement Aude Dufour
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J
<br /> <br /> Je vous comprends, n'en doutez pas. Je vais enlever cette carte, n'en trouvant pas d'autre. Et croyez-moi, si vous le voulez bien, je sais combien c'est important pour vous, mais aussi combien<br /> c'est important pour nous. L'anglais s'immisce partout, en France, hélas...<br /> <br /> <br /> <br />
J
j'admire énormément cet auteur française, je la félicite de connaître si bien, et bien mieux que nous les Québécois, tout notre passé, ce passé assez extraordinaire de la Nouvelle France.. Que bien<br /> peu de gens chez nous mettent en avant ! Si c'était le cas nous serions beaucoup plus fiers de ce que nous sommes.. c'est donc très émouvant pour nous, et nous sommes nombreux à apprécier cette<br /> façon de nous le raconter avec à la fois autant de clarté et de force. Merci Madame
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J
<br /> <br /> Merci à vous !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Nous apprécions tous ce nouvel article , mais pourquoi avoir mis cette carte des Cinq nations Odinossonis/Iroquoises où les noms de ces tribus sont écrits en Anglais et non pas en Français ? Je<br /> vous redonne leurs vrais noms pour les personnes en France qui les ignoreraient<br /> Les Annierronnons près de l'Atlantique, puis les Onneiouts, les Onnaontagués les Goyogouins et les Tsonnontouans. je vous lis chaque semaine avec toujours beaucoup d'intérêt, continuez, madame<br /> Morot-Sir, mais pas avec des cartes anglaises .. merci
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J
<br /> <br /> Je vous avouerais que, trop fatigué, je ne m'en suis pas rendu compte... De plus, c'est la seule carte que j'ai trouvée... Je suis désolé... Madame Morot-Sir n'y est pour rien. Jean Dornac<br /> <br /> <br /> <br />