Pierre Lemoyne d’Iberville, le fils le plus illustre de la Nouvelle France

Publié le par jdor

Par Marie-Hélène Morot-Sir

Tribune libre de Vigile - Jeudi 21 juillet 2011

20-iberville-2-3-4c9d3.jpgLa Nouvelle France recèle tant d’hommes de grande valeur qui par leur enthousiasme, par leur courage à toutes épreuves ont fondé ce pays magnifique et dont vous êtes et avec quelle fierté les descendants ! Comment les oublier ? Comment ne pas raconter leurs brillantes aventures, ainsi que toutes les grandes défaites qu’ils ont tant et tant de fois, infligées aux Anglais...

Pierre Lemoyne d’Iberville est l’un de ces hommes merveilleux, il avait su si bien se faire aimer des hommes qui l’entouraient qu’ils l’auraient suivi au bout du monde.

Pierre est né à Ville-Marie le 16 juillet 1661 à une époque où, en Nouvelle France, il fallait “combattre pour survivre”. Troisième enfant de Charles Lemoyne, lui-même arrivé en Nouvelle France comme “donné” des jésuites, était devenu grâce au commerce des fourrures, l’un des pionniers les plus riches et les plus influents, associé avec son beau-frère Jacques le Bert, ils avaient participé à la création de la C.N.O la Compagnie de fourrures du Nord Ouest. Charles aura quatorze enfants à qui il va faire donner une solide instruction. Pierre sera cadet durant quatre ans dans la marine Royale...

Pierre et deux de ses frères, Jacques Lemoyne de Saint Hélène et Pierre Lemoyne de Maricourt, participeront avec lui à l’expédition commandée par le chevalier Pierre de Troyes, en mars 1686 à la baie d’Hudson. La petite troupe arrive et surprend les Anglais dans les forts, ils étaient loin de se douter que ces Français auraient l’audace de se risquer à travers le froid et les glaces de l’hiver pour atteindre la baie. L’assaut des Français les surprend totalement et le drapeau du roi de France flotte rapidement sur les forts grâce à leur audace. Avant de repartir en août 1686 le Chevalier de Troyes confie le commandement des forts à Pierre d’Iberville.

Pierre n’en reste pas là, lorsque le temps plus serein de la belle saison permet aux navires anglais de pouvoir à nouveau pénétrer dans la baie, il les arraisonne brillamment et en octobre 1687, il revient à Québec, sur un de ces navires chargé d’une importante cargaison de fourrures, en longeant les côtes du Labrador.

Le gouverneur est époustouflé par cette incroyable hardiesse du jeune homme, il l’envoie en France après cet exploit, pour qu’il rencontre le Roi à Versailles. Pierre lui expose longuement des plans concrets pour défendre la baie d’Hudson. Le roi lui-même est si enthousiasmé qu’il lui confie l’un de ses plus beaux, de ses plus rapides navires, le “Soleil d’Afrique” et, le 3 août 1688, Pierre d’Iberville fend à nouveau les eaux de la Baie d’Hudson où il défendra à nouveau les intérêts des Français.

Plus tard, le 18 février 1690, il participe avec le Comte de Frontenac à la riposte, suite à l’attaque épouvantable qui avait eu lieu dans la nuit du 4 août 1689 à Lachine par les Odinossonis (iroquois) pour mettre un terme à leurs attaques, le tout nouveau gouverneur Frontenac avait décidé “de porter la guerre dans ces tribus” jusqu’à Schenectady, en Nouvelle Angleterre, avec trois détachements de Canadiens et leurs alliés Amérindiens, pour "leur faire respecter les Français".

Puis en 1696, Pierre attaque le fort William Henry qui sert de frontière entre l’Acadie et la Nouvelle Angleterre, le commandant anglais capitule, les quatre-vingt-dix soldats sont renvoyés à Boston. Cela fait, Pierre se dirige avec une petite armée de volontaires vers Terre-Neuve et la capitale Saint John’s les Français mettent le feu à la ville et à trente-six autres établissements anglais, ils font plus de sept cents prisonniers, ce sera la campagne la plus destructive de Pierre d’Iberville, mais il n’a pas le temps de terminer la conquête des territoires de Terre-Neuve, il est à nouveau envoyé à la Baie d’Hudson.

Réplique du « Pélican »

Le_pelican.jpgEn septembre 1697, séparé des autres navires, Pierre d’Iberville ne se laisse pas impressionner par les trois navires anglais qui apparaissent dans la brume et s’approchent de lui, il leur fait face sur son “Pélican” et sans hésiter, après un combat difficile, il chassera à nouveau les Anglais en coulant successivement trois de leurs navires, le Pélican sera après cette éclatante victoire et ces échanges vigoureux, lui aussi en bien mauvaise posture, mais les autres navires français arriveront enfin. Pierre d’Iberville reprendra alors le fort Nelson aux Anglais, ce sera le 13 septembre 1697, la baie d’Hudson est à nouveau française. (63 ans avant la Bataille des plaines d’Abraham, le 13 septembre 1759... - ndlr)

Mais c’était sans compter avec le traité de Ryswick, qui aura lieu en Europe sept jours exactement plus tard. Après tous les efforts déployés, tant de bateaux coulés, de nuits passées dans le froid de ces nuits polaires et autant de morts, malgré autant de peines et de courage, ce traité rendra définitivement la baie aux Anglais !

* * *

Devant autant d’injustice, Pierre d’Iberville soupirera en secouant ses mèches blondes, il ne pourra s’empêcher de dire cette phrase désormais célèbre : “Bête comme un traité de paix” !

Plus rien ne reste alors là-haut à entreprendre à la Baie, la France va envoyer le plus efficace de ses fils de la Nouvelle France vers d’autres cieux, plus riants et plus chauds, il va donc se rendre du côté du Golfe du Mexique où il va poursuivre, dix-sept ans après un autre héros de la Nouvelle France, le travail commencé par Cavelier de la Salle. Il avait pris possession de ce territoire au nom du roi de France et l’avait nommé Louisiane en ce 9 avril 1682.

Même s’il est obligé de porter son regard vers d’autres horizons, Pierre a toujours le même désir, celui de donner l’Amérique du Nord à la France. C’est pourquoi il plaide à nouveau auprès du Roi, l’établissement d’une colonie française à l’embouchure du Mississipi (écrit avec un seul “p” comme au temps des Français) : “ Si la France ne se saisit pas de cette partie de l’Amérique qui est la plus belle, pour avoir une colonie (...) la colonie anglaise deviendra si considérable que dans moins de cent années elle sera assez forte pour se saisir de toute l’Amérique et en chasser les autres Nations.

C’est ainsi que le 27 janvier 1699, Pierre arrive pour établir une colonie française, il réussira à trouver le 2 mars suivant l’embouchure de ce grand Metsi sipi qui avait tant coûté d’efforts vains à Cavelier de la Salle, au milieu de zones de lagunes, de mangroves et de marais d’eau douce, tout un énorme complexe de levées naturelles inextricables, dans un si vaste delta. Il fera trois nouveaux voyages pour implanter la petite colonie, puis il laissera son jeune frère Jean-Baptiste Lemoyne de Bienville diriger la colonie et s’entendre avec les tribus amérindiennes avec qui il rentrera en amitié.

Alors Pierre Lemoyne d’Iberville va repartir au cours de cette année 1702, il va s’éloigner pour toujours vers son destin, sans savoir qu’il ne reverra jamais les rives verdoyantes des bords du Metsi Sipi.

La flotte française commandée par Pierre va alors faire de véritables ravages parmi les vaisseaux anglais, il s’empare de la petite île de Nevis, et de trente bateaux anglais. Tout semble si bien lui réussir qu’il s’apprête sur cette belle lancée, à aller attaquer la flotte marchande de Virginie, et poursuivre ainsi son avancée jusqu’à Terre-Neuve... Ce qui signifie qu’il a comme dessein de reprendre une à une toutes les colonies anglaises les unes après les autres, en remontant le long de l’Atlantique. Rien de moins !

Les Anglais s’inquiètent avec raison, ils ont vu combien depuis toutes ces années, il les a chassés de la baie d’Hudson à plusieurs reprises sans ménagement, de quelle façon il leur a coulé leurs navires avec quelle célérité étonnante et totalement inouïe, et voici qu’à présent il arrive pour les poursuivre jusqu’ici dans ces eaux plus chaudes avec ce plan infernal qu’ils devinent, pour mettre fin à l’expansion de leur nation anglaise. Ils ont bien compris que rien n’arrêtera ce jeune Canadien. Rien ne l’arrêtera ? Vraiment ? Les Anglais ne peuvent concevoir cela !

Ce 8 juillet 1706, la flotte française entre dans le port de la Havane, Pierre Lemoyne d’Iberville invite à dîner le commandant espagnol Pedro Alvarez de Villarin, tout juste arrivé d’Espagne. Ce dernier appuie dans son projet l’amiral canadien de Louis XIV, il lui offre même pour cela son meilleur navire avec trois cents hommes de guerre.

Pourtant le destin n’en a pas décidé ainsi.

http://www2.ville.montreal.qc.ca/archives

ph_BANQ-046_arch_xl.jpgAu cours de ce repas, les deux hommes sont pris tous les deux de fièvres terribles qui vont les terrasser dans des douleurs épouvantables. Pedro Alvarez est transporté au château de la force royale où ses médecins vont lui apporter tous les meilleurs secours, en vain. Pierre est entouré de ses fidèles compagnons qui soutiendront leur chef tandis qu’il se tord dans d’atroces douleurs, emporté par un délire effrayant ! En quelques heures à peine, les deux hommes subiront une impressionnante agonie devant les médecins impuissants. Ces deux grands marins vont disparaître au moment ”où le commandant d’une puissante escadre française était résolu à porter un coup fatal à la présence anglaise en Amérique du Nord”.

Alors se demandent encore les journalistes d’investigation, les historiens et tous ceux qui cherchent à retrouver le Passé à travers les anciens documents : Villarin et d’Iberville ont-ils été empoisonnés ?

Le glas sonnera longtemps à l’église saint Cristobal de la Havane, où deux cercueils recouverts de draps noirs sont inhumés en ce jour affligeant, car le glas funèbre sonne aussi celui d’une autre Amérique, d’une Amérique enterrée à tout jamais en ce 9 juillet 1706, sous le chaud soleil de la Havane.

La colonie anglaise peut alors reprendre son souffle.

Les morts de Villarin et de d’Iberville garderont à jamais leur secret, n’ont-ils pas été emportés par les fièvres si fréquentes sous ces latitudes ? Pourtant. Pourtant.

Nombreux seront ceux qui, au cours des siècles écoulés, soulèveront ,par instant, le voile dissimulant une toute autre trame, réelle ou imaginaire, tel cet archiviste français de la marine de France qui rappellera avec émotion en 1738 ces deux étranges disparitions simultanées, si parfaitement concomitantes, en des termes, il est vrai, peu équivoques :

Pierre d’Iberville mourut empoisonné par les intrigues d’une nation célèbre qui craignait avec raison un tel voisin.”

Au cimetière de l’église Saint Cristobal, une simple épitaphe rappelle le Français : Général Don Pedro Moine Berbilla “ traduisant phonétiquement le nom de notre grand Pierre Lemoyne d’Iberville, natif du royaume de France !

http://www.vigile.net/Pierre-Lemoyne-d-Iberville-le-fils

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V
<br /> Très intéressant votre série sur la Nouvelle France qui nous permet de mieux appréhender cette période française de l'autre côté des mers, période dont nous ne savons pas grand chose .. alors merci<br /> vraiment de nous en dire davantage..<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Je vous remercie pour votre intérêt à propos de cette série, comme je remercie Marie-Hélène Morot-Sir pour son imposant travail et la confiance dont elle me témoigne.<br /> <br /> <br /> <br />